L’égalité entre les femmes et les hommes n’est pas encore une réalité à Maurice. En effet, malgré les mesures entreprises par les autorités et le travail des associations concernées, il existe toujours des manquements. Malgré le fait que les filles excellent sur le plan académique, elles ont du mal à accéder à des postes les mieux rémunérés. Un manquement qui a été prouvé par le dernier Gender Statistics Report.
Ce rapport indique que les filles ont de meilleurs résultats au primaire, au secondaire et même au tertiaire. Par ailleurs, il y a plus de femmes qui occupent des postes supérieurs dans le service public. Pourtant, ce même rapport révèle que le salaire moyen d’une femme est inférieur à celui de l’homme. L’égalité dans le monde professionnel serait-il un mythe ? Le rôle de la femme est-il appelé à changer ?
Reeaz Chuttoo, président de la Confédération des Travailleurs du Secteur Privé (CTSP), affirme qu’il existe plusieurs facteurs qui expliquent cette disparité salariale à Maurice. « La discrimination institutionnalisée a toujours existé dans l’industrie sucrière, celles du thé et du sel même si Maurice a ratifié les conventions 100 et 101 de l’Equal Remunerations.
Le fait qu’on est dans une société patriarcale, la femme, que ce soit son niveau académique et son rôle, n’a jamais été au premier plan. De plus, il y a toujours eu des stéréotypes sur les femmes. Malgré le fait qu’elle peut faire le même travail qu’un homme, elle est souvent sous-estimée. Le pire, c’est qu’elle croit que c’est tout à fait normal de gagner moins. Alors que les femmes qui occupent un poste supérieur ne font pas vraiment grand-chose pour revendiquer leurs droits. Elles doivent se montrer encore plus fermes quand elles estiment que leurs droits sont bafoués», lance-t-il.
Notre interlocuteur attire notre attention sur le rôle de la femme dans notre société actuelle. Il soutient que c’est une question de mentalité. «Les statistiques des performances scolaires des filles démontrent clairement qu’elles ont le potentiel requis pour exercer d’une manière professionnelle. Alors pourquoi ne pas leur donner la chance de se prouver ? À la CTSP, ce sont les femmes qui sont à la tête de la People's Cooperative Credit Union Ltd. 90% de cas de fraudes sont commis par les hommes dans le monde. Raison de plus pour donner la chance aux femmes d’entreprendre des responsabilités au sein des associations ou même du pays », dit-il.
Reeaz Chuttoo souligne que pour ce qui est du secteur du Seafood Hub et le textile, sur 100 000 employés, le salaire de 85 % de femmes est en dessous de Rs 6 000. « En sus, il y a aussi des secteurs qui ne prescrivent pas de salaire minimal tels que l’Information and Communications Technology et le secteur financier où 90% des employés sont des filles. Il est malheureux que cela a toujours été ainsi et que les décideurs ne font pas vraiment grand chose pour améliorer la situation », affirme-t-il.
Toutefois, Rashid Imrith, président de la Fédération des syndicats du secteur public, souligne que la situation est toute autre dans le secteur public. « Cela s’explique par le fait que c’est le Pay Research Bureau (PRB) qui détermine le salaire des fonctionnaires. Quel que soit le genre du candidat, la grille salariale est prédéterminée sur plusieurs critères, soit la qualification, la formation, la responsabilité, la supervision et la nature du travail», précise-t-il.
Une situation qui perdure ailleurs
Claudia Goldin, professeur d’économie à l’Université de Harvard, a affirmé dans le quotidien économique LesEchos.fr que les femmes gagnent toujours moins que les hommes en moyenne. En 2010, aux États-Unis, les femmes ne gagnaient que 72% du salaire des hommes, alors qu’en France l’écart est de 20 et 25%. Pourtant, elle explique aussi qu’il ne s’agit pas de différence entre le niveau d'études et l'expérience professionnelle.
Alors pourquoi sont-elles encore moins payées que les hommes ? Selon Claudia Goldin, les femmes négocient rarement leurs salaires. Pour ce qui est des employeurs, ils sont plus critiques quand il s’agit de donner une promotion aux femmes. Celles-ci ont tendance à quitter leur travail à cause de leurs obligations personnelles. Aujourd’hui, les firmes récompensent ceux avec de la compétence mais aussi ceux qui sont dotés d’une extrême forme d’assiduité. Ainsi, dans ce cas précis, les hommes ont un avantage considérable sur les femmes. En Inde, selon le rapport CSI, réalisé par la Confédération des centrales syndicales nationales, l’écart salarial est de 29,4%. Ceci s’explique par le fait qu’il y ait moins de femmes actives sur le marché du travail.
Pradeep Dursun, Employers' Adviser à la Mauritius Employers' Federation (MEF) : « Il n’y a pas que la qualification qui est prise en considération »
Le conseiller de la MEF nous explique qu’il ne faut pas généraliser ce qu’on qualifie de l’écart de salaire féminin et masculin. «Normalement, les employés occupant le même poste touchent le même salaire dans le secteur privé. Toutefois, il faut prendre en considération la nature du travail. La femme peut être plus qualifiée que l’homme ou peut avoir les mêmes qualifications mais une disparité de salaire n’est pas anormale si l’homme a plus d’années d’expérience.
D’autre part, il y aussi un autre volet à prendre en considération. Souvent l’homme se retrouve à assumer plus de responsabilités de par sa disponibilité, sa capacité de travailler en équipe, entre autres. Quelle que soit la situation, la discrimination est proscrite par la loi et c’est un sujet que nous prenons au sérieux au niveau de la MEF ». Ce dernier affirme qu’il est aussi un fait quand, dans certains secteurs, les femmes n’ont pas la compétence requise pour assumer un poste. «Ainsi, elles se retrouvent à faire les dead-end jobs et là les hommes vont être forcément mieux payés », dit-il.
Anushka Virahsawmy, directrice de Gender Links : « Certaines femmes prennent pour acquis qu’elles soient traitées ainsi »
La directrice de Gender Links souligne qu’il y a effectivement un problème de l’équité de traitement de salaire à Maurice. Elle avance que la femme est en avant-plan dans plusieurs domaines mais elle est souvent victime de violence domestique, de l’inégalité au travail, entre autres. « Le fait d’être dans une société patriarcale, il semblerait que certaines femmes prennent pour acquis qu’elles soient traitées ainsi sur le plan professionnel. Elles ne vont pas jusqu'à négocier leur salaire et leurs conditions de travail. On s’habitue à notre ‘comfort zone’ ».
Pour Anushka Virahsawmy, la femme ne doit pas accepter cette injustice. Elle doit absolument référer son cas à l’Equal Opportunities Commission si elle est victime d’une quelconque inégalité. «Il est inacceptable, voire même illégal, qu’aujourd’hui une femme qui a de meilleurs résultats aient un salaire inférieur à l’homme. L’employeur doit pouvoir justifier les disparités salariales dans de tels cas. Chez Gender Links, nous mettons l’accent sur la formation des femmes ainsi que des hommes pour les conscientiser sur leurs droits. Nous avons souvent des femmes-maçons qui n’ont pas le même salaire que leur collègue mais elles ne peuvent pas aller de l’avant car elles n’ont pas de fiche de paie ! », avance-t-elle.
Témoignages
Mireille, 35 ans : « Nous assurons les mêmes responsabilités »
En dépit des lois contre la disparité salariale, certaines femmes se disent être encore victimes de cette pratique. Tout porte à croire que cet écart est applicable, que ce soit pour les femmes hauts cadres ainsi que pour les ouvrières. Mireille, 35 ans, nous livre son témoignage.
Assistante de direction depuis trois ans, notre interlocutrice ne cache pas sa déception en ce qui concerne sa situation au travail. « Je croyais toujours que les choses avaient changé. Or, en sus de m’occuper de ma famille, je me donne à fond dans mon travail mais mes efforts ne sont jamais récompensés. Déjà, il existe un écart de salaire considérable entre mon collègue, qui s’avère être un homme, et moi. Nous assurons les mêmes responsabilités au sein de l’entreprise. Je ne réfléchis pas deux fois quand on me demande de faire des heures supplémentaires. Je prends rarement des vacances mais il semblerait qu’on me prenne pour acquise », raconte-t-elle.
Mireille nous raconte qu’elle a maintes fois tenté de parler à son supérieur mais ce dernier fait la sourde oreille et il ne peut même pas lui donner des explications. « Ce n’est que récemment que j’ai appris que je gagne moins et pourtant, mon collègue et moi avions rejoint la compagnie durant la même période. Le comble c’est qu’il a aussi eu droit à une négociation de salaire, alors que pour moi c’est ‘à prendre ou à laisser’. Je ne dis rien car j’aime mon travail et en ce moment le chômage chez les femmes est en hausse. C’est vraiment triste que c’est ainsi! », dit-elle.
Seema, 42 ans : « La femme ne doit pas se laisser faire »
Pourquoi les hommes gagnent-ils plus ? Les femmes doivent-elles sortir de leurs gonds pour changer cela ? Seema, superviseur dans une entreprise privée, affirme que, depuis plusieurs années, elle a été payée bien moins que son collègue jusqu'à ce qu’elle réalise qu’elle ne devrait plus se laisser faire. «Je dois admettre que pour moi c’était une situation tout à fait normal.
Ayant vécu dans une société comme la nôtre, on s’estime déjà chanceuse qu’on occupe un poste important. Quand j’ai été promue, on m’a fait comprendre que mon salaire allait être revu dans quelques mois mais cela n’a jamais été le cas. Je n’osais pas aller voir le directeur pour parler de mon hausse de salaire. Mon collègue qui s’avère être aussi un ami gagne bien plus que moi. Au fait, il restait jusqu’à fort tard au bureau et travaillait même pendant les week-ends », dit-elle.
Seema avance que c’est son fils qui parvient à lui ouvrir les yeux. «Il m’a fait comprendre que j’étais aussi compétente et efficace que mon collègue. Il m’a expliqué que le fait d’être une mère de famille, j’ai peut-être donné l’impression d’être moins disponible. Il m’a aussi fait comprendre qu’il fallait absolument que je me montre plus confiante. Aujourd’hui, il n’y a plus cet écart car il n’y avait vraiment aucune raison d’avoir cette disparité », témoigne-t-elle.
Source: AWID
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