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La Turquie rattrapée par la recrudescence des violences faites aux femmes

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L'émotion a submergé 37 villes de Turquie après l'assassinat de Özgecan Aslan, une étudiante âgée de 20 ans, violée, amputée des deux mains, brûlée puis jetée dans le lit d'une rivière par ses agresseurs à Çamalan, dans la province de Mersin au sud du pays.

De Trabzon à Diyarbakir, des milliers de personnes sont sorties dans les rues, de samedi 14 à lundi 16 février, pour dénoncer la recrudescence des violences envers les femmes. « Nous ne sommes pas en deuil, nous sommes révoltés »disaient les affiches brandies par les manifestants. Des appels ont retenti sur les réseaux sociaux pour que les victimes de viols et de harcèlement brisent la loi du silence sous le hashtag #sendeanlat (« #toiaussiraconte »). Un vent de colère a soufflé sur les obsèques de la jeune victime, samedi 14 février à Mersin, quand des femmes de l'entourage de la victime, bravant l'interdiction de l'imam, ont porté sa dépouille au cimetière, une tâche traditionnellement réservée aux hommes.

« La violence contre les femmes est une plaie ouverte dans notre société [...], une rupture de la confiance de Dieu », s'est épanché, lundi, le président Recep Tayyip Erdogan, tandis que son premier ministre, Ahmet Davutoglu, promettait de « briser les mains » des coupables. Sous le coup de l'émotion, quelques figures du Parti pour la justice et le développement (AKP, islamo-conservateur, au pouvoir) – le ministre de l'économie Nihat Zeybekci, le député Burhan Kuzu, chargé de rédiger la nouvelle Constitution, son collègue Ahmet Iyimaya, qui dirige la commission parlementaire pour la justice – ont évoqué un éventuel rétablissement de la peine de mort, abolie en 2004 pour amener le pays aux standards européens.

UN PROBLÈME DEVENU RÉCURRENT

Racontée par la presse dans ses moindres détails, le calvaire de Özgecan Aslan a jeté une lumière crue sur un problème devenu récurrent en Turquie, quand la violence infligée aux femmes par les hommes n'a cessé d'augmenter ces dix dernières années. L'ONG « Stoppez les assassinats de femmes » dénombre 255 femmes tuées pendant les dix premier mois de 2014, contre 237 en 2013. Les chiffres cités par le ministère de la justice reflètent une courbe inégale selon les années : 66 assassinats en 2002, 1 011 en 2007, 1 126 en 2009, 155 en 2012.

Toutes les ONG en conviennent, le plus souvent, l'assassin est le mari, le père, le beau-père, le fils ou l'amant. La mise à mort survient après une séparation, par jalousie ou dès lors qu'il est question du code de l'« honneur » (töre) invoqué pour justifier les actes les plus sauvages. C'est ce qui s'est passé le 31 janvier 2015 pour C. I., une jeune fille de 18 ans originaire de Mardin (sud est), qui fuyait sa famille en compagnie de son bien-aimé, Hamdullah, 25 ans. Des hommes, parents de la jeune fille, guettaient son arrivée à la gare routière d'Istanbul. Le couple, à peine sorti du bus, a été attaqué à coups de couteau. Le jeune homme est mort sur le coup, la jeune femme, grièvement blessée, emmenée à l'hôpital. Toute la scène eut lieu en plein jour, sous les regards de centaines de voyageurs.

La violence est en effet présente au quotidien. D'après une étude faite en 2013 sur les femmes mariées à travers tout le pays, par l'université Hacettepe, à Ankara, 39 % des épouses interrogées reconnaissent avoir subi des violences physiques, 15 % confient avoir connu des violences sexuelles, 44 % déplorent des violences verbales.

Les associations de défense des femmes dénoncent les failles du système judiciaire, plus enclin à justifier les hommes qu'à protéger les femmes. L'AKP est montré du doigt pour les sorties sexistes de ses ténors. En juillet 2014, le vice premier ministre Bülent Arinc avait été la risée des réseaux sociaux après avoir invité la gent féminine à « préserver sa décence (…), ne pas rire fort en public et protéger son honneur ».

« UNE POLITIQUE DISCRIMINATOIRE »

A Avcilar, un quartier périphérique à l'ouest d'Istanbul, où des centaines de militantes féministes s'étaient rassemblées dimanche matin, des accusations ont fusé contre le gouvernement, accusé de mener « une politique discriminatoire ».

Nombreuses sont les jeunes citadines, indépendantes et éduquées, qui dénoncent la tendance des islamo-conservateurs du Parti de la justice et du développement (AKP) à vouloir leur imposer des règles de vie d'un autre âge. Comme ce jour du 24 novembre 2014, où le président Recep Tayyip Erdogan a affirmé, citant le Coran, que les femmes ne pouvaient être considérées comme les égales des hommes. « Notre religion a défini une place pour les femmes, la maternité », a-t-il expliqué devant les représentantes de l'association Femmes et démocratie, dirigée par sa fille cadette Sumeyye.

La politique familiale de l'AKP s'est vite heurtée aux réticences des associations de femmes. Un projet de loi, visant en 2012 à ramener le délai légal de l'avortement de dix à quatre semaines, a du être abandonné face au tollé. Régulièrement, le chef de l'Etat recommande aux femmes de donner naissance à trois enfants, au minimum.

A quatre mois des législatives, l'assassinat de la jeune étudiante a attisé les règlements de compte politiques. « L'AKP est arrivé au pouvoir en arguant que la moralité avait pris un gros coup [...], mais la démocratie et la morale ont perdu beaucoup de sang ces dernières années », a critiqué dimanche Kemal Kiliçdaroglu, le président du Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate, opposition).

Lundi au Parlement, la députée du CHP pour Mersin, Aytug Atici, a renouvelé la charge contre les islamo-conservateurs, critiqués pour leur piètre bilan en matière de droits des femmes. La Turquie préside actuellement le G20, le club des pays les plus riches du monde, dont l'un des buts déclarés est de réduire le fossé qui existe entre les femmes et les hommes, notamment en matière d'emploi, un secteur où les femmes turques sont peu représentées (29 % des actifs).

Source: LeMonde

 

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