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Répondre aux inégalités de genre dans l’objectif d’une paix durable

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J’ai perdu mon mari, mon cousin, le fils et la belle-fille de ma tante. Je suis maintenant toute seule avec mes quatre enfants. [Mon mari et mon fils] sont morts en martyrs il y a sept ans. [Mon mari] avait un petit magasin près de l’aéroport [à Kaboul]. Mon fils aîné et lui étaient dans le magasin quand une roquette a atteint la devanture de la boutique. Tous les deux ont été déchiquetés (Hafeeza d’Aghanistan, cité par Khan 2003 : 163)

L’histoire de cette femme est l’un des nombreux témoignages tragiques, et malheureusement familiers, du vécu qu’ont les personnes des conflits armés. Mais cette histoire, comme beaucoup d’autres, masque la réalité complexe et ignorée du fait que femmes et hommes subissent de manière différenciée les conséquences des conflits armés. Les réflexions traditionnelles, hermétiques à la notion de genre, traitant de la guerre et de ses prolongements, ferment les yeux sur les causes et les conséquences des désavantages liés à l’appartenance à un sexe social, et sur la manière dont ces désavantages ont des répercussions sur les relations entre femmes et hommes. Dans la mesure où les inégalités de genre persistent, et qu’elles sont souvent exacerbées par les conflits, ce sont principalement les désavantages vécus par les femmes qui demeurent cachés.

Les interprétations traditionnelles de ce qui se passe pendant les conflits armés sont limitées par des perceptions erronées, selon lesquelles les hommes sont exclusivement des soldats ou des agresseurs, et les femmes seulement cantonnées au « front du foyer » et ne sont que victimes dans leurs rôles d’épouses, de mères, d’infirmières, d’assistantes sociales et de travailleuses du sexe. Les femmes pourtant sont aussi soutiens de famille, activistes, et comme le met en exergue le témoignage de Kolila, combattantes :

« Avant que la lutte ne commence, notre société était très rigide et conservatrice. Les femmes n’avaient aucune place parmi les hommes. Elles ne parlaient jamais la tête haute. Qui pouvait alors penser qu’elles prendraient les armes ? Ces dix dernières années pourtant, il y a eu d’énormes changements. On voit maintenant des jeunes filles sur le champ de bataille se battre d’égal à égal avec les hommes... Au lieu de mourir en criant, en étant violée par l’armée ennemie, çà soulage de pouvoir l’affronter avec ta propre arme » (Kokila du Sri Lanka, cité par Bennett et al. 1995 :146)

Le fait que les inégalités entre sexes sociaux persistent ne signifie pas que les hommes sont systématiquement gagnants. Comme le montre le récit de Sabina, dans les cas où les agresseurs sont des hommes, ils exercent des représailles contre d’autres hommes en les torturant et en les violentant.

« Les garçons âgés de 14 à 16 ans étaient tués sur le champ…je les ai vus traîner un jeune homme et l’obliger à imiter un mouton. Ils l’ont frappé et puis ils l’ont tué. J’ai vu comment ils ont torturé un groupe de quatre hommes, qu’ils ont ensuite criblés de balles » (Sabina de Bosnie, cité par Bennett et al 1995 : 250)

Il est clair qu’on ne reconnaît pas suffisamment que les situations de conflits armés génèrent chez les femmes comme chez les hommes des besoins et des rôles divers, et que tout ceci a des conséquences sur les relations de genre.

Une stratégie délibérée de guerre

Les conséquences des conflits armés sont souvent considérées comme des suites inéluctables de la guerre. Pourtant, les déplacements forcés et les violences liées au sexe de la victime, ou violences sexospécifiques, ne constituent en rien des retombées inévitables, mais sont des stratégies de guerre délibérées qui déstabilisent les familles et les communautés. Cette stratégie a été très efficace au Kosovo, où, selon un rapport de Human Rights Watch publié en 2000, « la menace de viol était à elle seule suffisante pour obliger les femmes et les familles à fuir. »

« Ils m’ont ordonné de me déshabiller. J’ai refusé (mais) ils m’ont menacé avec un couteau. Chacun à leur tour, ils m’ont violée par terre. Il y en avait toujours deux qui me bloquaient au sol. Quand le cinquième s’est approché, je lui ai demandé : « qu’est-ce que ça te ferait si quelqu’un traitait ta mère, ta sœur ou ta fille comme ça ? » (Marica de Croatie, cité par Bennett et al 1995 : 236)

Les cas de viols, de grossesses forcées, de prostitution forcée et d’esclavage sexuel subis par les femmes se produisent plus fréquemment au plus fort du conflit qu’avant le conflit ou pendant les périodes sans conflits. Le fait que ceux qui commettent ces violences sur les femmes sont souvent membres de « forces de la paix », de la police ou de forces occupantes, comme ce fut le cas en Bosnie, est encore plus alarmant. Les hommes sont incontestablement les principaux auteurs des violences ; il arrive toutefois qu’ils soient eux-mêmes victimes de violences sexospécifiques (viols, torture, emprisonnement) s’ils s’opposent à la violence ou refusent d’obéir à la conscription.

Quid des lois internationales ?

Bien qu’il existe plus d’une dizaine de lois et d’engagements internationaux, nombreux sont les Etats, les organisations internationales et les organisations non-gouvernementales (ONG) qui ignorent purement et simplement les problèmes de genre, ou cherchent à travailler avec les femmes dans des directions étroites et stéréotypées. Lorsque les organisations internationales utilisent le terme de « genre » -comme c’est le cas des Nations-Unies avec la résolution 1325 du Conseil de Sécurité- c’est d’une manière qui suggère que les besoins des femmes (et des filles) sont des « cas spéciaux » échappant aux analyses traditionnelles. Même si, bien sûr, le redéploiement de financements en faveur des femmes (et des filles) représente une avancée, ces engagements « spéciaux » restent limités dans la mesure où le problème des désavantages des femmes n’est pas pensé en relation avec celui plus global du déséquilibre des pouvoirs dans les relations hommes-femmes.

Plus problématique encore est le fait que, malgré l’existence de ces lois et de ces engagements internationaux, beaucoup d’Etats et d’organisations ne reconnaissent pas les déplacements forcés et les violences sexospécifiques comme des violations des droits humains. Ces questions tendent à être traitées comme des problèmes très compliqués, culturels ou relevant de la sphère privée, dont il vaut mieux ne pas se mêler. Il est de ce fait difficile pour des ONG internationales comme Oxfam de s’attaquer à des problèmes intégrant la sexospécificité. La mauvaise volonté à reconnaître l’existence de ce type de violations des droits humains, conjuguée au faible degré d’application des lois existantes, empêche tout progrès réel vers l’égalité sociale des sexes.

Changements positifs dus aux interventions intégrant le genre.

L’assistance humanitaire, les programmes de désarmement, de démobilisation et de réintégration (DDR) des anciens combattants, et d’autres types d’interventions encore, peuvent aggraver les inégalités sociales entre les sexes dès lors qu’ils restent sourds aux spécificités de genre. Ce qui s’est passé en Bosnie suggère aussi que les Etats et les ONG internationales n’accordent souvent pas assez d’attention à la manière dont les ONG locales, en particulier les groupes de femmes, pourraient contribuer à rendre les programmes mieux adaptés au contexte économique, politique, social, culturel et religieux.

En fait, le chaos engendré par un conflit armé peut être l’occasion de créer, au niveau national ou régional, des structures politiques et juridiques qui opéreraient dans la période de l’après conflit en prenant davantage en compte les sexospécificités. La mise en place d’organes gouvernementaux tels que le Ministère du Genre et des Femmes dans le développement (MIGEPROFE) au Rwanda et le Service des Affaires liées aux Sexospécificités au Timor Oriental a garanti l’intégration des problèmes de genre au sein de toutes les structures politiques et juridiques post-conflit. Dans l’exemple rwandais, la représentation et le rôle des femmes au niveau des cours de justice villageoises (les gacaca) ont été accrus par voie législative. Au Timor Oriental, un service pour les Personnes Vulnérables, dont le personnel est entièrement féminin, a été mis en place par l’ONU à Dili, la capitale, pour traiter les cas de violences sexospécifiques, avec des divisions régionales à travers le pays.

Et maintenant, quelle direction suivre?

La nécessité d’intégrer les questions liées au genre à toutes les structures impliquées dans les conflits armés et dans les processus de reconstruction post-conflit ne fait pas de doute. Une meilleure application et un plus grand respect des lois internationales existantes, telles que la résolution 1325 du Conseil de Sécurité de l’ONU, par les Etats et par les organisations internationales, assurerait une meilleure protection, des femmes en particulier, à l’égard des violations des droits humains. Il faut aussi que les conséquences des conflits armés telles que les déplacements forcés et les violences sexospécifiques soient reconnues comme des violations des droits humains au lieu d’être considérés comme des problèmes d’ordre privé ou culturel, soi-disant inévitables en temps de guerre.

Les interventions des Etats et des ONG internationales cherchant à répondre aux conséquences de la guerre doivent impliquer au niveau décisionnel les organisations locales- parmi lesquelles les groupes de femmes. Le travail de vulgarisation et de soutien auprès des familles et des communautés vivant avec les traumatismes des conflits armés doit lui aussi correspondre aux priorités exprimées par les populations locales. Il y a un besoin urgent d’accroître les dotations pour de tels services spécialisés et localisés. Les services proposés aux femmes doivent comporter une prise en charge et un travail d’information pour gérer les problèmes de santé reproductive et gynécologique liés aux viols, aux grossesses forcées et au travail sexuel. De même, des services de santé et de soutien psychologique devraient être accessibles aux hommes qui, parce qu’ils se démarquent des rôles stéréotypés dévolus au genre masculin en s’opposant à la violence et aux combats, deviennent du même coup l’objet de violences physiques et sexuelles.

Il est crucial que toutes les personnes impliquées dans les processus de reconstruction de l’après conflit, y compris les femmes, soient formées pour identifier, dans le contexte local, les problèmes liés au genre et pour chercher à les résoudre. Les forces chargées du maintien de la paix en particulier doivent suivre une formation à la problématique du genre qui leur permette d’établir une relation de confiance avec les communautés locales. Les procédures de plainte et de prise en charge policière doivent également être améliorées pour les cas de menaces et d’actes de violence sexospécifique impliquant des individus chargés de protéger les zones à l’issue des conflits.

Tous les acteurs qui ont un rôle dans les conflits et dans la période de reconstruction de l’après conflit doivent travailler ensemble pour répondre aux désavantages sexospécifiques qui surviennent en temps de guerre et dans l’après-guerre. Sans coopération entre toutes les femmes et tous les hommes concerné-e-s, actrices et acteurs intervenant au niveau du conseil villageois ou à la table des négociations, il ne peut y avoir de paix réelle, digne de ce nom et durable.


Par Lata Narayanaswamy, BRIDGE (à partir de El Jack A., 2003, « Genre et conflits armés : rapport général », Kit Actu’, Brighton : BRIDGE/Institute of Development Studies)

 

 

 

A travers cette section, le ROFAF aimerait informer son audience sur les différents processus en cours pour l’élaboration du nouveau cadre de développement pour l’Après 2015, les actions de mobilisation et de plaidoyer entreprises pour les droits des femmes ainsi que les différentes possibilités d’engagement qui existent encore. En savoir plus


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