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Après-2015 : un monde juste ou juste un monde ?

« Le développement sera égalitaire, ou ne sera pas ». C’est en substance l’entête de la plupart des textes rédigés actuellement sur l’agenda post- 2015 et le genre. Elle résume les propos de Michelle Bachelet, alors directrice d’ONU Femmes, lors de la clôture de la 57ème session de la Commission sur le Statut des Femmes, en mars 2013 : « il n’y aura pas de paix, pas de progrès aussi longtemps qu’existeront la discrimination et la violence contre les femmes ».

par Claudy Vouhé, Présidente de Genre en Action

13 ans après la formulation des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) et à deux ans de leur échéance, l’objectif d’un monde juste, pour les femmes et les hommes, relève-t-il de la vision stratégique, de la prophétie, ou de l’utopie pure ?

Des signes encourageants
Dans le rapport remis par l’Equipe Spéciale des NU à son Secrétaire Général en juin 2012 « Réaliser l’avenir que nous voulons pour tous1 », première étape vers le rapport final qui sera remis en septembre, l’égalité de genre occupe une place prépondérante. La lecture de ce premier rapport est plutôt rassurante. L’égalité des hommes-femmes est l’un des trois principes fondamentaux sur lesquels l’Equipe Spéciale recommande d’appuyer le nouvel agenda post-2015 : les droits de l’Homme, l’égalité et la durabilité. Dans ce rapport préliminaire, l’égalité est présentée comme un droit Humain d’abord et un facteur de développement ensuite. L’Equipe Spéciale préconise la réduction des disparités spécifiques ainsi que les changements structurels qui forment le socle des inégalités et des violences. Les leçons tirées des OMD semblent apprises : pas assez de concertation pluri-acteurs, manque de cohérence dans les politiques et faible contextualisation/adaptation aux situations locales. Le cadre post-2015 et les futurs Objectifs du Développement Durable (ODD) proposent d’y remédier.

L’approche recommandée identifie aussi quatre dimension clefs : l’inclusion dans le développement social, la durabilité environnementale, l’inclusion dans le développement économique, et la paix et la sécurité. Ces thèmes sont au coeur des revendications des féministes et activistes du genre depuis… bien avant l’avènement des OMD en 2000. Il y a donc lieu de se réjouir. Cependant, une lecture rapprochée révèle que la dimension genre disparaît hors du paragraphe consacré à l’égalité. Ailleurs, les femmes et les jeunes filles côtoient inévitablement les « groupes vulnérables », les exclus, les invalides … Elles sont victimes, discriminées. Le développement social inclusif exclut la question des droits et des choix sexuels (il est question de santé maternelle, des MST, d’hygiène). Les propositions relatives à la gouvernance ne mentionnent pas la parité, le paragraphe sur le développement durable et les conditions climatiques ne fait pas le lien avec le genre. Les TIC sont abordées sans que le manque à gagner des femmes dans ce secteur et leur accès aux technologies soient repérés. Seule la dimension « paix et sécurité » reprend la thématique du genre en lien avec les violences (abus sexuel, trafic des personnes etc.). La partie n’est donc pas gagnée.

Surpasser les OMD
Le bilan des Objectifs du Millénaire pour le Développement, globalement, reconnaît que l’égalité de genre, cible de l’OMD3, n’a pas été atteinte. Si la parité dans l’éducation (inscription au niveau primaire) a fait des progrès indéniables dans certains contextes (Asie), l’Afrique Sub- Saharienne reste en deçà du but fixé à l’échelle mondiale. L’accès à la santé reproductive n’a reçu ni l’attention ni les moyens nécessaires, et la parité en politique n’est nulle part concrétisée. Les bilans établis par différentes parties prenantes mettent en cause le manque de volonté politique, de moyens, de concertation et de suivi. Le contenu étroit de l’OMD3 (axé sur l’accès à l’éducation primaire) et l’absence de déclinaison transversale du genre dans les 7 autres objectifs sont aussi pointés. La concentration du genre sur les enjeux scolaires et la santé, aussi important fussent-ils, a masqué la persistance de discriminations réelles et symboliques, l’accroissement des violences faîtes aux femmes et l’émergence de nouveaux enjeux décisifs pour l’égalité des femmes et des hommes (les changements climatiques, l’usage des TIC par exemple). Cependant, malgré les faiblesses de l’OMD3, son existence même a permis d’attirer l’attention des politiques et de focaliser le travail des militantes, notamment autour de l’épineuse question des financements. Si les activistes ont pu réagir en 2005 lorsque la Déclaration de Paris a menacé d’écarter le genre des critères d’éligibilité aux nouvelles modalités d’aide au développement, c’est sans doute parce que la société civile était déjà mobilisée autour de l’OMD3. L’OMD3 a également permis de motiver la récolte de données, la création d’indicateurs et de systèmes de recueil. Même si les données sont loin du compte, il y a progrès.

Post-2015 : Quel(s) chantier(s) ?
De nombreux communiqués, rapports, plaidoyers ont commencé à suggérer le contenu de l’agenda post-2015 en général, et concernant le genre spécifiquement. Pour la globalité de l’agenda, le UN Groupe sur le Développement dirige les opérations et s’est doté d’un Groupe de Haut Niveau2 et d’une plateforme internet multilingue « Le Monde Que Nous Voulons » pour des consultations en ligne3 . Pour ce qui est de l’égalité, du côté des « institutions », ONU Femmes4 est impliqué bien entendu. L’OCDE, dans le cadre du GenderNet, a aussi fait part de ses positions5 (bientôt traduites en français). Du côté des ONG internationales, AWID, la Coalition des Femmes pour l’après 20156 mais aussi le Women’s Major Group7 ainsi que des coalitions internationales, régionales et africaines8 ont mis leurs revendications en avant9 . Les agences de développement bilatérales avancent aussi sur le thème, de même que les gouvernements des pays du Sud où se tiennent actuellement des consultations nationales (plus ou moins) sensibles au genre.

Que disent les premières recommandations ?
Tout d’abord, un consensus émerge sur le fait que le futur agenda devra avoir comme socle les Droits Humains. Un autre consensus se bâtit autour de l’idée que les ODD devront contenir d’une part un objectif spécifique sur l’égalité de genre et, d’autre part, une transversalité visible du genre dans les autres objectifs qui seront formulés. Cette exigence s’accompagne d’une demande explicite de cibles et d’indicateurs désagrégés (âge/genre) dans tous les objectifs. Le contenu de l’objectif spécifique n’est pas arrêté. Quelles sont les pistes ? Toutes les parties s’accordent sur le fait que le nouvel objectif devra être beaucoup plus ambitieux que l’OMD et concerner des aspects qualitatifs du changement. Elles appellent à l’application stricte des droits Humains des femmes, sans dérogation « culturelle » (un principe réitéré dans les résolutions de la 57ème session sur le Statut des Femmes de mars 2013), même si, pour certains, les ODD doivent être adaptés au contexte. ONU Femmes propose une articulation autour de 3 axes : fin de la violence, égalité de genre dans les compétences (capabilités) et les ressources et l’égalité dans le pouvoir de prise de décision et de prise de parole/voix dans les institutions privées et publiques.

Le groupe GADNetwork(basé en Angleterre), à titre d’exemple, suggère quatre critères pour guider le choix de l’objectif spécifique : être une priorité pour les femmes ; avoir un potentiel de transformation (des rapports de pouvoir de genre) ; avoir une pertinence politique et ne pas être couvert par les autres objectifs. Des thèmes reviennent dans pratiquement toutes les propositions : lutte contre les violences, autonomisation économique des femmes, représentation politique. Evidemment, les institutions de développement et les ONG, notamment des organisations féministes et activistes du genre, ne sont pas d’accord sur tout ! Par exemple, les institutions mettent en avant le rôle de levier que l’égalité de genre joue dans le développement et se basent avant tout sur l’argument de son efficacité. Les ONG revendiquent le respect des Droits Humains des femmes, efficaces ou pas pour le développement et la réduction de la pauvreté. Le nombre d’ODD à définir pose aussi question.

Faut-il se focaliser sur un nombre restreint d’objectifs, comme ce fut le cas avec les OMD, ou aborder une sélection de thèmes plus ample ? Les plaidoyers des ONG portent sur un vaste programme. A ça, certain-es répondent en rappelant l’existence de la CEDEF et autres protocoles, la Plateforme de Pékin, les processus ICPD etc. comme autant d’outils pour l’égalité. Les ODD ne pourront pas tout prendre à bord ! Enfin, l’élargissement prévu des ODD à tous les pays (et pas seulement ceux du Sud) risque fort de poser de sérieux problèmes de calage des objectifs à des niveaux acceptables partout. Autre point de divergence : les thématiques à aborder. Pour les ONG, l’imbrication du système patriarcal et du modèle économique libéral dans la plupart des sociétés ( u’elles soient développées, émergentes ou en voie de développement) doit être remise en question car elle huile les ressorts des migrations à risque, du trafic des êtres humains, du pillage des ressources naturelles et des désastres environnementaux et conflits qui en découlent, sans oublier les fondamentalismes religieux de tous bords et les pratiques politiques antidémocratiques. S’attaquer aux causes structurelles des inégalités, dans le vocable des institutions, fait référence au socio-culturel, beaucoup moins aux politiques macroéconomiques (commerce notamment) internationales que dénoncent les ONG. Sur le thème de l’empowerment économique, des sujets susceptibles de « fâcher » les états (et les conservateurs de tous bords) sont préconisés par les militantes : le droit à la terre, à l’héritage, à l’avortement. La question centrale du langage des « droits sexuels » fera sans doute débat au moment de finaliser les objectifs. Pour certains, les ODD ne sont pas le lieu de cette revendication et ils-elles préfèrent avancer avec un langage consensuel (santé maternelle, droits de la reproduction). L’avortement libre est une condition sine qua non des ODD pour les uns, un obstacle à contourner pour les autres. Dans les droits sexuels, l’intégration des questions LGBT n’est pas abordée jusqu’à présent. L’implication des hommes est un autre sujet à approfondir. Un autre point qui risque de faire débat concerne le manque d’implication des femmes de la société civile dans la définition des OMD (leur « domestication » nationale, locale) leur mise en oeuvre et (accès aux finances), le suivi et l’évaluation. La question a été relevée, y compris par les états, mais actuellement, la coordination de la prise en compte des questions d’égalité dans les consultations nationales semble bien peu coordonnée. Il reste deux ans pour accélérer la conclusion des OMD et les rapprocher de leurs cibles. L’accélération de ce chantier inachevé est essentielle pour paver la route des futurs ODD. A tous les niveaux, et dans les espaces où nous intervenons, l’agenda post-2015 doit nous interpeler. Il ne doit pas nous détourner de nos buts, ne doit pas capturer toutes nos énergies et ressources (la préparation onusienne est un peu « usine à gaz »). Cependant, et la recommandation est d’autant plus valable pour les francophones à qui l’information arrive souvent en anglais, il faut rester en éveil pour garantir que cet agenda pourra devenir un véhicule pour nos revendications féministes les plus fondamentales.

Source : Article paru dans le Bulletin ECHO n° 33, juin 2013 de l’AFARD

 

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