"Changeons les sujets d’actualités sur l’Afghanistan. Faisons connaître le pays par l’art, pas par la guerre." Cette phrase s'inscrit tel un étendard sur le compte Facebook de Shamsia Hassani. Cette artiste afghane engagée de 26 ans veut changer l’image donnée par son pays. Elle s'est emparée, pour cela, d'une arme redoutable : les bombes. Pas celles, évidemment, qui emportent des milliers de vies dans leurs explosions. Mais celles qui redonnent des couleurs aux murs de Kaboul.
Shamsia Hassani répète qu’elle est la première à avoir fait du graffiti dans son pays. Difficile de vérifier. Mais une chose est sûre : elle est la plus médiatisée. Cette jeune Afghane dénote dans un pays où elle est diplômée, et maintenant professeure, de la faculté des Beaux arts de Kaboul.
Les ombres en burqas bleues qui se déplacent dans la rue deviennent, dans ses graffitis, des femmes majestueuses, grandes et fortes, hautes en couleurs, souvent cheveux au vent, parfois aussi en burqa. Elles sont peintes accompagnées d’une guitare rouge, symbole de liberté pour Shamsia.
L'artiste veut ainsi véhiculer l’image d’une femme plus libre, loin des carcans sociétaux, traditionnels et de certains clichés occidentaux : "En Afghanistan les femmes ont d’autres problèmes bien plus importants : pas d’égalité, pas d’éducation (…) La burqa est juste un symbole", répond-elle au journal anglais The Independant.
Outre le message de paix et d'émancipation des femmes qu'elle veut transmettre par ses graffitis, les lieux d’expression qu’elle choisit sont aussi symboliques : "Je cherche des murs qui portent des stigmates de la guerre", raconte-t-elle dans un reportage que la chaîne américaine CNN lui a consacré. "Je veux (les) peindre et (les) colorer pour recouvrir tous les mauvais souvenirs de la guerre."
Pourtant, le conflit fait toujours partie du quotidien des Afghans. Ces dernières semaines, le pays est en proie à une nouvelle recrudescence de violences et d’attentats qui accompagnent le retrait définitif des troupes américaines en cette fin d’année 2014. Après des militaires afghans cibles d’une attaque, c’est le centre culture français de Kaboul qui a été visé par un kamikaze ces derniers jours.
A cause de cette insécurité quotidienne, et notamment des attaques-suicide, Shamsia ne peut sortir peindre dans la rue que deux à trois fois par mois. Quand dessiner en plein air devient trop compliqué, trop dangereux, elle imagine ses graffitis depuis son studio en peignant des photos de bâtiments comme le palais de Darul Aman à Kaboul (photo ci-dessous).
Shamsia n'est pas seulement limitée dans l'exercice de son art pour des raisons sécuritaires. Le fait qu'une femme travaille dans la rue, au vu et au su de tous, pour faire des graffitis, ne plait pas à tout le monde dans cette société très traditionnelle et patriarcale : "Certaines personnes n’aiment pas l’art, et d’autres pensent que ce n’est pas un bon travail pour une femme, relate-t-elle à CNN. Certains pensent même que ce n’est pas autorisé par l’Islam."
Dans les lieux publics, les regards s’arrêtent sur elle… dans le meilleur des cas : "En tant que femme, c’est difficile d’évoluer dehors, seule dans la rue. Les femmes sont souvent harcelées et ce n’est pas très agréable", explique-t-elle au journal anglais The Independant. Certains pensent que graffeuse n'est de toute façon pas un travail pour les femmes.
Cela ne l’empêche pas pour autant de s'armer de ses bombes pour partir à la conquête de nouveaux murs, de nouveaux espaces d'expression libre. Aujourd’hui, sa réputation s’étend bien au-delà des frontières afghanes. Elle a réalisé des graffitis en Suisse, au Vietnam, en Autriche et a même été exposée en Inde, en Allemagne ou encore en Italie.
Cette année, elle a aussi figuré parmi les finalistes du Artraker Award, un prix britannique qui récompense les artistes travaillant en zone de conflit. Au travers de ces événements à l’étranger, Shamsia Hassani touche à son but : montrer un autre visage de son pays, toujours meurtri.
Source : TV5Monde
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