Il est difficile de ne pas ressentir de la détresse face au déni profond de la société israélienne aujourd'hui. Seules les familles qui ont perdu leurs bien-aimés se trouvent plongées dans un cauchemar depuis cet été, tandis que la rue, les stations de télévision et les chaînes de vente au détail sont pour la plupart occupées à la cuisine et au shopping des fêtes. Cette semaine, tout juste avant Yom Kippour, il semble (encore) que nous parlons davantage de la guerre de 1973, plutôt que de celle que nous venons de vivre.
Face à cette situation, un nouveau mouvement s’est formé, un mouvement de femmes qui ont décidé de lancer une campagne publique à grande échelle en faveur de la paix. Elles s’appellent "Les femmes qui luttent pour la Paix", un nom qui illustre particulièrement une société qui se perçoit principalement en des termes belliqueux et n'a pas le choix de mener une bataille impitoyable, même pour la paix.
Le fait le plus intéressant à propos de ce nouveau mouvement est son timing. C’est précisément au moment où le désespoir de l'été dernier, qui a touché de nombreux secteurs de la population, entraînant une triste combinaison d'apathie et d'indifférence couplées à un sens aigu d'impasse dont le slogan est devenu "il n'y a pas d'avenir ici pour les prochaines générations", exprimant ainsi un profond manque de confiance à l’égard du gouvernement et du pays - que ce nouveau groupe a vu le jour.
C’est intéressant parce que le mouvement des femmes a surgi des tréfonds de ce désespoir et non pas d’organisations de gauche connues, de l'un des partis politiques, ou d’une initiative planifiée. Il est plutôt né comme une réponse, pas d’un seul noyau, mais à partir de secteurs et d’espaces idéologiques divers.
Avec le recul, on peut dire que le mouvement a été créé très probablement, au début de l’été, lors des jours difficiles au cours desquels des recherches de grande envergure ont été entreprises par les forces de sécurité pour retrouver les trois adolescents kidnappés, ignorant qu’ils avaient été assassinés.
Depuis le début de cette affaire tragique, les mères des trois adolescents ont occupé le devant de la scène, se serrant les coudes et communiquant avec les médias et faisant preuve d’une impressionnante humanité.
Parmi ces trois mères, l’une d’entre elles s’est particulièrement distinguée, Racheli Frenkel, qui a réussi à briser complètement le paradigme usé des "colons" par rapport aux “libéraux de Tel Aviv". Dans un geste extraordinaire, elle s’est levée tout en pleurant son fils, et a rendu ses condoléances aux parents de l'adolescent palestinien Muhammed Abu Khdeir, assassiné par des radicaux religieux juifs. Elle a réussi à déstabiliser les médias, qui ne savaient déjà comment l’aborder depuis qu’elle avait récité le Kaddish sur la tombe de son fils, une hérésie dans la tradition de la société orthodoxe.
La décision courageuse et déterminée de Frenkel à souligner le sort commun qui l’unissait à la mère palestinienne sur une base universelle humaniste, a tout à coup rendu à la société israélienne un langage qui semblait être perdu depuis longtemps. Un langage qui puise sa force dans l'émotion humaine et la morale. Il ne fait aucun doute que seules les femmes, parlant avec la légitimité de leur rôle de mère, pouvaient franchir la barrière de l'anxiété et de la mobilisation militaro-nationaliste que l’on voit au sein de majorité de la population juive en Israël. Plus la pression monte en temps de guerre, plus les femmes ont ici la légitimité de parler de la douleur et du chagrin et d’exprimer de la compassion envers l'autre, à condition qu'elles parlent à un niveau personnel.
Et c’est ainsi, qu’à partir de cette attitude inattendue de la part d’une “femme colon� des Territoires, Raheli Frenkel, un canal qui semblait bouché s’est rouvert, celui qui a si bien fonctionné lorsqu'un mouvement précédent, celui des "Quatre Mères", avait réussi à exercer une forte pression politique et émotionnelle sur les Premiers ministres, ministres de la Défense et officiers supérieurs de l'armée, jusqu'à ce qu'ils soient finalement amenés à retirer l’armée du Liban après une longue présence sanglante. C’est dans ce même esprit de femmes directement touchées par une question politique brûlante qu’est né le mouvement "Les femmes qui luttent pour la Paix", qui se répand comme une traînée de poudre.
Les initiatrices et les militantes du mouvement ont décidé que leur but est de pousser le gouvernement à un accord de paix avec les Palestiniens pour empêcher de nouvelles guerres. L'hypothèse de base est qu'il n'existe aucun conflit qui soit insoluble et qu'il est possible qu’un affrontement sanglant puisse se terminer par la réconciliation. L’histoire, disent-elles, en est pleine d’exemples, et nous n'avons pas une centaine d'années et des milliers d'autres fils à perdre.
Cela semble soudain si simple, en particulier lorsque les membres ne viennent pas d'un camp particulier- certaines votent Meretz ou Avoda, mais aussi du Likoud et d'autres partis de droite. Certaines sont des militantes pour la paix de longue date, alors que d’autres, plus jeunes, en sont à leur premiers pas dans le militantisme politique. Elles insistent sur le fait que leur mission est politique dans son sens premier et littéral, en terme d’influence sur le débat démocratique et civique. Leur démarche est en opposition radicale avec l'autre courant de la société israélienne: celui qui tend vers le séparatisme, le racisme et la violence. En ce sens, il ne fait aucun doute que ces “femmes pour la Paix� représentent une marée d'espoir. Reste maintenant à voir si elles parviendront à passer d'un phénomène rafraîchissant, mais curieux à une force d’influence réelle.
Si tel était le cas, elles marqueront l'histoire d'Israël, et au-delà .
Avirama Golan est écrivaine et journaliste. Elle dirige le Centre d'urbanisme et des cultures méditerranéennes à Bat Yam.
Source: i24news
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