Avec sa coupe au carré et son visage ensanglanté, elle est devenue la nouvelle icône d'une révolution assassinée. Ce samedi 24 janvier, à la veille de l'anniversaire de la fronde anti-Moubarak, qui mena il y a 4 ans à la chute du raïs, Shaimaa al Sabbagh voulait déposer des fleurs sur Tahrir, la «place de la liberté» en mémoire des quelque 800 martyrs de la révolte. En un tir de chevrotine, son dernier rêve s'est brisé sur les pavés du Caire. «Elle est morte pour avoir voulu chanter la liberté», s'emporte, effondré, Medhat al Zahed, l'actuel président de l'Alliance populaire socialiste, la mouvance politique à l'origine de cette mini-commémoration qui comptait, en cette fin d'après-midi, quelques dizaines de personnes.
Activiste chevronnée, mère de 31 ans
La police, présente en force ce jour-là aux alentours de Tahrir, nie toute implication. «Aucune arme, qu'il s'agisse de fusils à chevrotines ou à balles de caoutchouc n'a été utilisée. Il s'agissait d'une petite manifestation qui ne nécessitait pas le recours à de telles armes. Il n'y a eu que deux tirs de gaz lacrymogènes», insiste Abdel Fattah Osman, un responsable du ministère de l'Intérieur. Sur sa page facebook, le même ministère va même jusqu'à insinuer que des «éléments terroristes», sous-entendus des Frères Musulmans - bêtes noires du pouvoir depuis l'éviction par l'armée du président Morsi, en 2013 - auraient «infiltrés» le rassemblement.
Mais la version des militants pacifistes est tout autre. Selon les témoignages de ses proches, Shaima al Sabbagh, 31 ans et mère d'un garcon de quatre ans, était arrivée d'Alexandrie, sa ville, peu avant le rassemblement. Fidèle à ses habitudes, l'activiste chevronnée avait bravé l'interdit de manifester en se glissant en tête de cortège, sur la place Talat Harb, au centre du Caire, et à quelques encablures de Tahrir. Espérant amadouer les forces de l'ordre, le secrétaire général de l'Alliance populaire socialiste serait d'abord parti en éclaireur. Alors qu'il venait de faire demi tour en direction de son groupe, une pluie de gaz lacrymogène s'est abbattue sur les manifestants. L'homme ainsi que cinq autres membres du parti ont été arrêtés. Shaimaa, elle, est tombée sous les balles devant le bureau d'Air France.
Sur les nombreuses photos et vidéos qui circulent sur twitter, on voit clairement des membres des forces de l'ordre masqués de noir tirer sur la foule. «L'assassinat de Shaimaa est un message du ministère de l'Intérieur à l'attention de toute voix divergente du pouvoir», déplore Hana Shukrallah, la présidente du parti libéral Al Dostour. La veille, une jeune manifestante de 17 ans avait déjà trouvé la mort à Alexandrie. Ce dimanche 25 janvier, la violence est montée d'un cran lors de nouveaux accrochages entre la police et les manifestants dans la ville méditerranéenne, mais également au Caire et à El Bouhera, dans le Delta. D'après un bilan provisoire du Ministère de la Santé, plus de quinze personnes sont décédées en cette journée de commémoration. «En quatre ans, rien n'a changé: les mêmes armes qui ont tué les manifestants de 2011 tuent aujourd'hui les derniers protestataires», déplore Tarek Negeida, member du Courant Populaire, un autre parti d'opposition.
Source: LeFigaro.fr
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