Il y a trois ans, les électeurs japonais avaient rejeté le parti Libéral Démocrate (PLD, conservateur) au profit du Parti démocrate du Japon (PDJ), de centre-gauche. Le vent a vite tourné, et le premier a remporté une large victoire aux élections législatives du 16 décembre.
« Il faut redonner au PLD l'occasion de prendre en charge les problèmes du pays. Le gouvernement du PDJ a été un désastre », commente Keitaro Noguchi, un employé de 34 ans, qui résume bien l'état d'esprit post-électoral au Japon.
Les anti-nucléaire dans le viseur
C'est Shinzo Abe, brièvement Premier ministre en 2007, qui devrait reprendre les rênes du pays. Ce politicien considéré comme un « faucon » plaide pour un Japon plus fort militairement, en réponse à la dispute territoriale avec la Chine au sujet des îles Senkaku-Diaoyu. Il promet également de relancer l'économie par un programme de travaux publics. Mais le PLD devra faire face à un défi monumental : celui de raviver un taux de croissance atone tout en réduisant une dette publique qui s'envole et en assurant la protection sociale d'une jeunesse touchée par le chômage et d'une population de plus en plus âgée.
Mais si ces questions vont assurément faire l'objet de toutes les attentions de la classe politique, des militants s'inquiètent de deux autres sujets que le nouveau gouvernement risque de délaisser : la politique nucléaire et l'emploi des jeunes et des femmes, deux catégories confrontées à de faibles salaires et au temps partiel.
« Le PLD va tourner le dos aux politiques du gouvernement sortant qui prévoyait de sortir du nucléaire en 2030 », commente Koichi Nakano. Ce célèbre analyste politique à l'Université Sophia de Tokyo souligne que les grands groupes énergétiques, qui promeuvent le nucléaire, ont activement soutenu le PLD pendant la campagne électorale.
« Le mouvement écologiste japonais, qui soutient l'énergie propre et la sortie du nucléaire, manque de poids politique. Un régime plus dur, avec une forte majorité au Parlement, va s'en prendre aux anti-nucléaire en les présentant comme des radicaux dangereux. Je prévois davantage d'arrestations de militants », annonce Koichi Nakano, en se référant à l'arrestation de 16 personnes lors d'une manifestation anti-nucléaire le 16 septembre dernier.
« Je crains le retour des valeurs familiales archaïques »
L'issue de l'élection a également un goût amer pour les groupes qui militent pour un changement de politique en faveur de l'emploi des femmes – qui occupent 80% des emplois à temps partiel ou intérimaires -, de la garde d'enfants et des retraites – qui concernent une large majorité de femmes.
Pour Chizu Arashima, professeure à l'Université Gakuin de Kobe, la victoire électorale du PLD constitue un recul pour les droits et l'emploi des femmes. « En tant que travailleuse et mère de 3 enfants, je crains le retour des valeurs familiales archaïques du PLD, qui promeut une division genrée des rôles en encourageant les femmes à rester à la maison, avoir des bébés et compter sur les hommes ».
Chizu Arashima est membre du tout nouveau Parti Obachan, une organisation de femmes basée à Osaka, la deuxième ville du Japon, qui cherche à faire entendre la voix des femmes et à briser le plafond de verre dans le milieu politique du pays.
'Obachan' (ou Oba-san) est un mot japonais à l'origine péjoratif, qui désigne une femme d'âge mûr, prête à défier les hommes. « Ce nom a été choisi pour attirer l'attention sur une organisation déterminée à s'en prendre à la vieille politique dominée par les hommes », explique Kyoko Tada, avocate et membre fondatrice du parti.
Mais un long chemin reste à parcourir : lors de ces élections législatives, seules 38 femmes ont été élues, pour 225 sièges. C'est un recul important par rapport à 2009, quand 54 candidates avaient été élues. Le Japon occupe une piètre 110ème place dans le dernier classement sur les écarts hommes/femmes établi par le World Economic Forum.
Pour Chizu Arashima, le résultat des élections signifie que les femmes ont été leurrées par l'espoir que le PLD redresse la situation économique et assure la stabilité des revenus. « L'absence de débat public sur des solutions alternatives pour les femmes est une leçon pour les groupes militants. Nous sommes désormais déterminées à prendre ces questions à bras-le-corps », assure-t-elle.
Source: IPS
< Précédent | Suivant > |
---|