Les femmes arrivent, le pouvoir se déplace

Dimanche, 30 Mars 2014 17:59
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En 2014, pour la première fois, le maire de Paris sera très probablement une femme. Est-ce l'avènement de la parité réelle en politique ? Pas si vite. Dans la capitale, derrière l'affiche mettant face-à-face Anne Hidalgo et Nathalie Kosciusko-Morizet, la parité est de mise chez les têtes de liste dans les arrondissements, au PS comme à l'UMP. Chez les socialistes, dix femmes et dix hommes.

L'UMP fait même du zèle avec onze femmes et neuf hommes. Mais... la plupart de ces candidates vont au casse-pipe dans des arrondissements où leur parti n'a aucune chance d'emporter l'élection. Sur les onze cheffes de file de l'UMP, seules trois sont en situation de l'emporter. Au PS, elles sont cinq sur dix dans ce cas. Et les têtes de liste toutes féminines font florès sur l'ensemble du territoire quand la partie est perdue d'avance.

Les résistances à l'accès des femmes au pouvoir ont été, et sont toujours, très vives même si elles sont plus larvées aujourd'hui qu'hier. Les votes de la révision constitutionnelle en 1999 puis de la loi sur la parité politique en 2000 ont été l'objet de houleux débats. Les candidates pionnières essuyaient des insultes sexistes. Certaines sciaient elles-mêmes la branche de la loi sur la parité, craignant d'être désignées pour leur sexe et non pour leurs compétences... alors que le but de la loi était précisément qu'elles ne soient plus écartées du pouvoir en raison de leur sexe. Sur la question de la parité, la France a toujours été mauvaise élève. Figurant parmi les derniers pays à accorder le droit de vote aux femmes en 1944, elle a attendu la toute fin du XXe siècle pour légiférer sur la parité. En 1992, "la France des droits de l'Homme est onzième sur les douze pays de l'Union européenne pour la participation des femmes dans le Parlement", rappelait Françoise Gaspard, lors d'un colloque au Sénat en 2004. Et si en 2013 la France a progressé au classement du Global Gender Gap Report du Forum économique mondial, grâce à un gouvernement paritaire, elle ne pointe qu'à la 45ème place sur 135... Pas de quoi pavoiser.

Contournement

Lorsque les lois sont votées, elles sont contournées. La plupart des grands partis ont préféré payer des pénalités (4 millions d'euros par an pour l'UMP par exemple) plutôt que de respecter la loi. Et ils ont très vite trouvé le moyen de s'accommoder en présentant les femmes à des postes non éligibles. Aujourd'hui pour les élections municipales, en 2012 lors des législatives. Les partis respectent ainsi l'obligation de présenter autant de femmes que d'hommes avec alternance homme/femme pour les élections qui ont lieu au scrutin de liste mais ce sont des hommes qui finissent par s'asseoir dans le fauteuil du pouvoir.

Cette règle qui était valable pour les villes de plus de 3 500 habitants l'est aussi pour les villes de plus de 1 000 habitants depuis la loi du 17 mai 2013. La réforme devrait permettre l'élection de 16 000 femmes de plus dans les conseils municipaux. Cependant, les 74 % de communes de moins de 1 000 habitants, qui représentent près de 15 % de la population, ne seront pas concernées.

5 000 femmes maires sur 36 000 communes

En France, on ne compte que 13,8 % de femmes à la tête des conseils municipaux. Elles étaient 11 % avant les élections de 2008. Les hommes cèdent plus volontiers la place aux femmes lorsque les enjeux de pouvoir s'amoindrissent. C'est dans les plus petites communes où la loi sur la parité ne s'applique pas encore que sont élues le plus de femmes maires : 14 % dans les localités de moins de 3 500 habitants, mais 8 % dans les villes de 9 000 à 30 000 habitants. Dans les municipalités de 100 000 habitants et plus, les édiles femmes se comptent sur les doigts d'une main : les socialistes Martine Aubry à Lille, Hélène Mandroux à Montpellier et Adeline Hazan à Reims, Huguette Bello (PLR) à Saint-Paul (La Réunion) et l'UMP Maryse Joissains à Aix-en-Provence. Il est toutefois probable que ce chiffre augmente légèrement avec Paris, Rennes, Nantes, voire Strasbourg ou Caen.

Il ne suffit pas d'être élue...

Mais être élue ne suffit pas pour exercer réellement le pouvoir. Les femmes élues sont le plus souvent tenues à l'écart des décisions importantes. Au-delà de la "parité quantitative", il faut en effet se concentrer sur la "parité qualitative", souligne le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes. Michel Koebel, maître de conférences à l'université de Strasbourg, qui a mené une étude dans les villes moyennes, note que "en dehors du sport, délégation peu prestigieuse mais quasi exclusivement masculine, la plupart des attributions les plus élevées dans la hiérarchie municipale sont massivement confiées à des hommes". Finances, urbanisme, travaux, circulation ou sécurité échoient rarement à des adjointes.

Un autre moyen d'écarter les femmes du pouvoir sur leur ville était l'intercommunalité. La loi Chevènement de 1999 de "simplification de la coopération intercommunale" et la réforme territoriale de 2010 n'ont cessé de renforcer les instances intercommunales, dont le mode de scrutin, jusqu'à la loi du 17 mai 2013, échappait aux lois sur la parité. Aujourd'hui, 36 600 communes ont donné naissance à près de 2 500 établissement publics (communautés de communes, agglomérations, communautés urbaines, métropoles...). Ces intercommunalités n'ont pas de minces pouvoirs : économie, politique de la ville et du logement, équipements sportifs et culturels, aménagement de l'espace, infrastructures, logement social, environnement... Elles représenteraient 70 % des investissements du « bloc local ». Mais jusqu'aux dernières élections leurs conseils se composaient de délégués désignés par les conseils municipaux... Et la parité n'était pas de mise. La proportion de femmes présidentes de ces intercommunalités est bien inférieure à la proportion de femmes maires : 5 % contre 14 %.

Le mode de scrutin dans ces intercommunalités a changé : désormais, ce sont les électeurs qui désigneront les élus de ces instances intercommunales en même temps que l'équipe municipale sur une liste distincte et paritaire. Bref, derrière les affiches, la parité ne va toujours pas de soi et une vigilance de tous les instants s'impose...