Femmes et prise de décision qu’est-ce qui fait problème : la condition féminine ou les rapports hommes-femmes ?

Lundi, 14 Octobre 2013 16:06
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Femmes et hautes sphères de décision au Cameroun : une inégalité criarde . Le thème de la journée internationale de la femme (JIF) de 2006, « femmes et prise de décision » est révélateur d’un problème. En effet, malgré l’égalité en droit du travail et l’accès à la fonction publique camerounaise, les femmes ne représentent dans cette dernière qu’un taux de 28,7 % en 1997,  avec une prédominance dans les secteurs dits sociaux (Éducation, Santé, Affaires sociales et Promotion de la Femme). 

Elles constituent 16,7 % des magistrats en 1998 et 19,1 % des Avocats inscrits à cet ordre en 1999 (MINCOF, 2000).  Six (6) femmes membres du Gouvernement (sur 65)  soit 9,23%, une (1) femme Recteur d’université (sur 5), cinq (5) femmes Secrétaires Générales de Ministères (Sur environ 30), trois (3) Adjoints aux Préfets (sur 58 postes de préfets et sous préfets), aucune femme gouverneur (sur 10), vingt (20) députés (sur 180) soit 11,11% (la représentation était de 14% en 1987 et de 12% en 1995. 11 maires (sur 220) soit 5%, 3 femmes Directeurs Généraux de sociétés d’Etat, sur une vingtaine de directions générales soit 15% .  Elle représentent par ailleurs 52% de la population totale et 17,2% de la population active (INS, 2004). Ces statistiques révèlent que les femmes sont sous représentées aux hautes sphères de décision.

Le problème vécu au Cameroun est observé dans d’autres contextes. En effet, quelque soit le continent, le pays[1] ou les métiers, les femmes sont présentes aux niveaux opérationnel et intermédiaire et sous représentées aux hautes sphères de décision. Ce constat est matérialisé par le concept de « plafond de verre ».  Ce terme illustre le fait que les femmes n’accèdent pas aux hautes sphères de décision sans raison objective. Deux catégories de causes sont souvent évoquées pour expliquer ce phénomène : les causes structurelles et les causes individuelles. Plusieurs auteurs militent pour les causes structurelles. A l’issue de plusieurs échanges avec les femmes hauts cadres féminins de la fonction publique camerounaise et à la suite d’une étude réalisée par l’Institut Supérieur de Management Public sur le thème « leadership et promotion professionnelle des femmes camerounaises », les causes individuelles semblent l’emporter. Cette contradiction avec la majorité des écrits relatifs à  l’accès des femmes aux hautes sphères de décision (traitant presque tous des réalités des pays du Nord), nous pousse à nous interroger sur l’origine du problème : est-ce la condition féminine ou les rapports hommes femmes ?

S’interroger sur les rapports hommes femmes au Cameroun revient à interroger le système patriarcal qui est le mode de coordination sociale retenue par l’Etat. En effet, les fondements du patriarcat[2] pose des problèmes en ce sens qu’il établit non seulement une différence sexuelle, bien plus, il y voit une hiérarchie.  Ce système sert à justifier l’oppression du sexe féminin. Il a le mérite de classer les sexes en termes de plus (l’homme) ou de moins (la femme). Mais il faut reconnaître que la  supériorité de l’homme sur la femme ne s’affirme qu’au prix de l’acceptation. En effet, l’acceptation des différences d’insertion dans le monde du travail réduit la capacité des femmes quant à leur emprise sur le réel. L’exclusion des femmes aux hautes sphères de décision se fait donc plus ou moins avec leur complicité passive.

Pour augmenter la représentativité des femmes aux hautes sphères de décision, certains proposent une lois de quotas (30% le plus souvent) ou des pratiques de discrimination positive (à compétence égale, la promotion de la femme sera retenue). Ces pratiques et d’autres formes d’encouragements connexes (nomination préférentielle) visent essentiellement à gonfler les effectifs. C’est comme si le nombre commande l’équilibre des rapports entre les sexes et qu’il n’est nul besoin de remettre en cause les catégories d’un système construit sur l’exclusion des femmes, de leurs connaissances comme de leur présence. Et pourtant c’est là qu’est tout le problème, l’ordre établit n’est pas remis en cause et la condition féminine n’est pas ciblée.

Le monde du travail ou de la politique continue de fonctionner selon les principes et rationalités enjoints par et pour les hommes, sans tenir compte de l’apport des femmes. Dans cette optique, c’est la condition féminine qui fait problème et non les rapports hommes-femmes (nul besoin alors de gonfler les effectif, juste pour arriver à un équilibre quantitatif)[3]. Les femmes devraient s’outiller pour avoir le bagage nécessaire afin de prétendre « légitimement » à accomplir le même type de tâches que leurs confrères masculins. Pour ce qui est particulièrement des hauts postes de direction pour lesquels la compétence technique n’est qu’un préalable, nous proposons sept stratégies empruntées à Edith Luc (2004) dans sa démonstration du développement du capital de leadership. Ainsi,  si les femmes veulent briser le « plafond  de verre », elles devront développer des stratégies spécifiques afin de se conformer aux règles du jeu, arrêter de se considérer comme des victimes[4], éviter de mettre tous leurs espoirs dans les quotas et les conventions qui sont ratifiées et presque jamais respectées au rythme souhaité!

II- Stratégies d’accès aux hautes sphères de décision

Les propositions ci après sont tirées du livre d’Edith Luc (2004) intitulé le leadership partagé. Cette auteure reconnaît que chacun d’entre nous a un capital de leadership qu’il peut développer. Il n’est donc pas question de s’accommoder à la supériorité des hommes comme s’ils avaient des compétences exceptionnelles inaccessibles aux femmes. Sept stratégies sont alors suggérées : le non-conformisme social, la confiance en soi, l’apprentissage en T, la résilience, les acteurs dans l’actualisation du leadership, la vision personnelle, l’engagement et l’action.

Les codes sociaux des familles, groupes ethniques ou d’associations diverses inhibent l’expression de nouvelles perspectives. Pour rompre la ségrégation hiérarchique dont les femmes sont l’objet, celles-ci pourraient dans un premier temps se libérer de tous les conformismes sociaux qui la condamnent à un rôle de second plan, ou seulement dans des métiers dits féminins.  Elles doivent pouvoir exprimer leur vision et leur opinion et pour cela, envisager de se libérer progressivement des conformismes sociaux contraires à leur objectifs (voire à leurs valeurs). Cinq moteurs de libération du conformisme social sont alors proposés : l’évaluation du risque à se conformer ; l’identification de ses valeurs personnelles versus celles du groupe ; le développement de son sentiment de sécurité personnelle ; la valorisation des nouveaux codes sociaux et la valorisation du bien-être de la collectivité. Il s’agit alors de s’interroger sur les codes sociaux qui empêchent les femmes d’accéder aux hautes sphères de décision.

La confiance en soi est une attitude nécessaire voire indispensable pour toutes celles qui ont la prétention de briser le « plafond de verre ».  Les femmes devraient alors prêter attention aux manifestations de confiance de leur entourage et s’en servir pour construire et consolider leur confiance en elles. Il est alors très souvent conseillé de s’éloigner des personnes qui donnent constamment des feed-back négatifs renforçant ainsi l’insécurité et l’inconfort psychologique.

Le mode d’apprentissage en T illustre la nécessité de développer la profondeur en ce qui concerne le domaine immédiat de compétences et la transversalité pour les domaines connexes.  Ainsi, bien que la compétence technique soit nécessaire pour se faire remarquer par la hiérarchie, la différence entre un magistrat et un autre (par exemple) se fera par la maîtrise d’une compétence connexe comme par exemple la sociologie ou l’anthropologie. Ces connaissances connexes permettent d’avoir une vue moins étriquée des problèmes et certainement de prendre des décisions plus pertinentes, efficaces.  Il existe quatre catégories d’apprenantes : les apprenantes passives, les généralistes, les experts de contenus et les apprenantes suivant le mode d’apprentissage en T. Quel type d’apprenante êtes vous ?

La résilience est un terme emprunté à la physique et à la métallurgie et désigne la capacité qu’a un matériau à pouvoir retrouver sa forme initiale après un choc ou une pression. Au plan psychologique, la résilience est la capacité de faire face aux épreuves stressantes de la vie avec confiance et persévérance. Il s,agit de pouvoir travailler dans l’adversité et en sortir grandi. Les moteurs de développement de la résilience sont : le personnel (identification d’un but, discours intérieur) ; l’interpersonnel (s’entourer d’alliés, chercher et maintenir les relations positives, développer les compétences interpersonnelles) ; le professionnel (curiosité et ouverture à l’apprentissage, développement continu du savoir-faire, savoir global) ; le social (contributions passées, réalisations actuelles, contributions anticipées).

L’accès aux hautes sphères de décision se fait au contact des personnes significatives, celles qui exercent dans le parcours hiérarchique une influence considérable. Six principaux acteurs sont le plus souvent évoqués : le mentor (celui qui guide et oriente dans l’établissement des valeurs, de la vision personnelle et professionnelle. Une relation mentorale s’inscrit dans la durabilité 3 à 5 ans) ; le coach (joue le rôle d’instructeur, il exerce des rôles tactiques et vise des compétences spécifiques) ; le challenger (met constamment au défi en facilitant le développement professionnel. Son influence s’exerce au travers de ses exigences de qualité, de l’attribution des  mandats difficiles ou exigeants) ; le passeur (donne accès à des personnes, à des expériences, à des informations qui facilitent la visibilité. Il donne ainsi accès à des opportunités et à des réseaux professionnels influents) ; le modèle inspirant (celui à qui on veut ressembler, celui qui constitue l’idéal professionnel) ; l’antimodèle (a un impact positif en ce sens qu’il représente, en tout point de vue, au genre de professionnel que l’on ne souhaite pas être, il donne un éventail d’éléments à éviter).

Avoir une vision personnelle consiste à garder le cap sur un but ou aspirations tout en exploitant les opportunités que présente l’environnement. Au plan professionnel, avoir une vision consiste à développer un savoir et un savoir faire spécifiques, permettant d’avoir une identité professionnelle. Elle s’élabore à partir de l’expertise de base qui est ensuite élargit aux activités connexes, l’ensemble constituant une vision de son devenir professionnel. Pour y arriver, il faut jouir d’un degré de satisfaction et de valorisation professionnelles d’une part et, le métier exercé doit être en phase avec vos valeurs, intérêts, talents ou capacités d’autre part.

Toutes les stratégies évoquées ne se développent que dans l’action.  Passer à l’action consiste à mettre sa vision en œuvre sinon, il ne s’agira que d’un rêve. Il s’agit alors de se mobiliser et mobiliser tous les acteurs de développement évoqués ci-dessus autour de son but professionnel. Ceci vise à mettre toutes les énergies personnelles, interpersonnelle, organisationnelles et sociales positives à la réalisation d’un objectif, ici, l’accès aux hautes sphères de décision.

En guise de conclusion, les femmes devraient se prendre en main et développer les compétences nécessaires pour accéder aux hautes sphères de décision. En plus de leurs compétences techniques, elles devraient s’appuyer sur les stratégies évoquées ci-dessus. Des stratégies de développement de carrière sont  aussi indispensables, notamment le réseautage, le mentorat et le co-développement. Ces stratégies feront l’objet d’une communication ultérieure.

Viviane Ondoua Biwolé, Chercheure, enseignante à l’université de Yaoundé II et professeur Consultant à l’Institut Supérieur de Management Public (ISMP)

Références

Edith Luc, (2004), « Le leadership partagé : modèle d’apprentissage et d’actualisation », Les Presses de l’Université de Montréal, 157p.

Institut National de la Statistique, 2004.

MINCOF, (2000), « Annuaire statistique sur la situation de la femme au Cameroun », juin.

 

[1] Le Rwanda, souvent cité comme référence comprend 43% de femmes au parlement. Il faut reconnaître que les femmes de ce pays bénéficient d’un contexte particulier d’après génocide (qui a entraîné la mort de plusieurs hommes). Au Chili, la présidente de la république a initié des mesures de discriminations positives à court terme, depuis mars 2006,  prévoyant un pourcentage de 50% aux femmes dans différentes nominations, affaire à suivre….

[2] Dans le système patriarcal n’établit pas de hiérarchie seulement entre les hommes et les femmes, mais entre les hommes entre eux les séparant en jeunes, vieux, robustes, père fils, patrons, employés, amis, ennemis etc.

[3] La pratique des quotas est souvent l’objet de plusieurs critiques. En effet pourquoi avoir 30% ou 50% de femmes ? Ce type d’engagement n’introduit-il pas une discrimination, cette fois à l’égard des hommes ? Doit-on alors corriger une discrimination en introduisant une autre discrimination ? Le problème est de corriger la sous représentation des femmes, cette sous représentation qui est une notion statistique est le solde d l’opération : taux de disponibilité - représentation. Dans certains cas, la sous représentation peut être de 75% et dans d’autres de 17%. Nul besoin de se satisfaire de la facilité de retenir un taux « magique » de 30%.

[4] Se cconsidérer les femmes comme des victimes laisse croire que les femmes n’ont pas de droits. En fait c’est l’accès à ces droits qui constitue le véritable challenge!